Les nouveaux business models fondés sur les plateformes

C’est sans doute la plus grande mutation macroéconomique depuis la révolution industrielle : les nouveaux business models fondés sur les plateformes. Airbnb, Amazon ou Google en sont les exemples emblématiques. Ces « digital natives » sont des précurseurs mais toute entreprise, dans tout secteur d’activité, doit désormais se poser la question de sa stratégie de plateforme : quelles sont les options pour se positionner ? Comment initier cette stratégie pour ne pas passer à côté d’opportunités ?

L’économie des plateformes est une question technologique mais, surtout, stratégique. Les API (Application Programming Interface) permettent d’ouvrir les systèmes d’information et de matérialiser ainsi une vraie collaboration sur une plateforme technologique entre fournisseurs, distributeurs, partenaires… qui construisent une offre commune pour des clients.

Un cas extrême est le modèle d’Airbnb, qui ne possède aucun actif : cette plateforme sert d’intermédiaire entre des propriétaires de biens immobiliers à louer et des voyageurs. Cette tendance à la « plateformisation du business » nécessite bien sûr une technologie digitale innovante. Mais Airbnb est allé plus loin, en proposant une forme inédite d’intermédiation, à la fois plus pertinente et innovante que ce que proposaient les agences de voyage en ligne, il y a dix ou quinze ans.

Etre ou ne pas être plateforme

Comment le secteur de l’hôtellerie se positionne-t-il par rapport à Airbnb ? AccorHotels, par exemple, a choisi d’inviter sur sa propre plateforme de réservations, accorhotels.com, des offres d’établissements indépendants pour enrichir le taux de couverture de son offre hôtelière sur la France et amplifier ainsi l’audience potentielle du site.

Dans tout secteur d’activité, ces nouveaux business models obligent les dirigeants à se poser des questions essentielles : comment positionner mon entreprise par rapport aux plateformes ? Doit-elle devenir dans son ensemble, ou seulement en partie, une plateforme ? Ou doit-elle interagir avec des plateformes existantes ou à venir ?

Prenons le cas de la filiale low cost d’Air France-KLM, Transavia. Devenir une plateforme de réservation de voyages n’est pas l’axe stratégique choisi par Transavia. En revanche, la compagnie aérienne veut intégrer ses services aux plateformes de voyages ou de déplacements. Dans cette optique, Transavia a investi pour faire connaître ses services de réservations, ses vols et sa politique de prix : une entreprise qui veut les inclure dans son offre en fait la demande et s’identifie sur un portail dédié. Transavia ne veut pas créer de plateforme mais veut tenir sa place dans les écosystèmes de partenaires valorisés par les plateformes en devenant une « easy to do business with » compagnie.

Les assureurs mènent une réflexion similaire pour ne pas rater la prochaine plateforme innovante de co-voiturage, du type BlaBlaCar. Dans un marché de l’assurance actuellement captif, les assureurs ouvrent et redéfinissent leurs services, pour couvrir des trajets en covoiturage à la demande.

S’associer pour innover et créer de la valeur

En résumé, il existe aujourd’hui deux grands types de plateformes :

– les plateformes sectorielles : elles excellent sur une niche et ne traitent qu’un secteur d’activité, comme Airbnb. Combien de temps une entreprise peut-elle vivre sur un marché de niche ? Ce débat sur l’avantage concurrentiel est bien antérieur à l’ère digitale et oblige l’entreprise à constamment innover.

– les plateformes intersectorielles : elles servent de socle pour créer des écosystèmes de partenariats entre entreprises, ou entre secteurs d’activité : une banque peut concevoir une plateforme de paiement et s’associer à un acteur de la grande distribution pour gérer son programme de fidélité.

L’ambition de la plateforme est une question stratégique. Pour les plateformes intersectorielles, c’est l’ampleur de l’audience et des partenariats qui crée la valeur. Ces derniers permettent d’accroître le volume de transactions et d’imaginer de nouveaux services tout en développant une très forte connaissance utilisateurs.

Prenons l’exemple de l’Internet des objets. Pour fonctionner, les objets connectés de toutes sortes (qu’ils soient associés à une voiture, à une chaudière, à une montre…) interagissent avec des plateformes technologiques. Hébergées dans le cloud, ces plateformes traitent toutes les données issues des objets et fournissent de nouveaux services à partir de ces données. La voiture connectée est aujourd’hui devenue un standard, quelle que soit la marque. Le facteur de différenciation est désormais plutôt de savoir si la voiture est connectée aux services de péage de Vinci, aux autres plateformes chères aux utilisateurs, comme Deezer ou Spotify, ou si elle sait combien de places sont disponibles sur le parking du supermarché ? C’est donc par le biais de partenariats que la voiture connectée crée des services à valeur ajoutée.

Acquérir l’agilité d’une approche « Lab »

Pour trouver et maintenir sa place dans l’écosystème des plateformes, l’entreprise doit cultiver deux forces : l’agilité et la rapidité d’exécution. Elle doit s’interroger régulièrement sur la pertinence de son positionnement, savoir le faire évoluer et s’adapter en permanence : autrement dit, appliquer le « test and learn » à toute l’organisation. Certains financements seront peut-être investis à perte car il faut accepter de se tromper. Cette approche de type « Lab » est efficace pour avancer. Et lorsque ce Lab a démontré sa capacité à générer de nouveaux revenus, il rejoint le cœur de métier de l’entreprise.

BMW Labs permet aux propriétaires de BMW d’expérimenter et de bénéficier de nouveaux services rendus par la voiture connectée. Pour ce faire, BMW Labs a récemment signé un accord avec IFTTT (If This Then That) : cette plateforme innovante et simple à utiliser crée des interactions inédites entre un grand nombre de partenaires pour développer des services à valeur ajoutée. Par exemple, en utilisant IFTTT, un conducteur de BMW peut recevoir dans sa voiture les grands titres du New York Times dès leur publication. Les conducteurs de BMW eux-mêmes sont sollicités pour être des « ß-testeurs » de ces nouveaux services.

Les plateformes sont le socle d’une nouvelle forme de création de valeur dans l’économie digitale. Chaque entreprise doit déterminer sa stratégie de plateforme, ne serait-ce que pour trouver sa juste place dans des écosystèmes pilotés par d’autres entreprises. Ou pour simplement prendre une position défensive. Adopter ces nouveaux business models ne signifie pas abandonner les anciens qui s’appuient sur une chaîne de valeur éprouvée, et qui représentent de solides fondations pour construire ces plateformes. Une entreprise comme Philips, par exemple, qui a lancé HealthCareSuite avec ses partenaires pour améliorer le suivi des patients, reste d’abord un fournisseur de matériel médical.

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Pascal Delorme

Manifeste pour le numérique français

L’élection présidentielle de mai 2017 est, semble-t-il, marquée par un degré d’incertitude inhabituellement élevé. Non pas qu’en la matière notre pays soit toujours l’exception que l’on veut bien croire. A cet égard, nul ne conteste que l’année récente a été riche en surprises électorales : décision surprise des britanniques de quitter l’Union européenne, élection assez inattendue de Donald Trump.

Numérique, clé du retour de la croissance

Ces incertitudes politiques étant ce qu’elles sont, qu’il nous soit permis, entrepreneurs de l’économie numérique, de formuler une conviction forte et un souhait résolu. Nous avons la conviction que le numérique est la clé de la restauration d’une croissance digne de ce nom dans notre pays, capable de faire enfin durablement reculer le chômage. Notre souhait, c’est que les autorités politiques que les français choisiront regardent le numérique non pas comme une menace pour nos emplois, nos libertés, voire notre souveraineté, mais comme ce qu’il est : une fantastique opportunité. Nos expériences nous en convainquent : la France dispose d’atouts clés pour faire naître les futurs leaders de l’économie numérique et tirer parti des immenses bénéfices que le numérique est capable d’apporter.

Des efforts importants

Naturellement, une telle évolution ne se fera pas de manière spontanée. Elle nécessite des efforts importants, au moins dans deux directions.

En premier lieu, la France doit se rendre attractive. N’en déplaise aux thuriféraires du protectionnisme, la France, et en son sein les différentes villes labellisées French Tech, sont en compétition féroce avec d’autres pays et villes d’Europe. A ce jeu, Londres, Stockholm ou Berlin se sont mises au diapason. Elles attirent start-uppers, capitaux-risqueurs, chercheurs : en un mot elles ont su créer des écosystèmes numériques incitatifs et innovants. En fait d’attractivité, la France dispose aussi d’atouts incontestables : un niveau d’éducation très élevé, des ingénieurs pointus, une qualité très grande des infrastructures, une connectivité très haut débit à des coûts parfaitement compétitifs, etc.

Mauvais signaux

Pourtant, ce tableau positif a son revers. Les dirigeants français ont envoyé quantités de signaux aux effets désastreux pour l’attractivité de la France. Parmi eux, citons, entre autres, le rachat bloqué de Dailymotion, les discours agressifs à l’égard d’acteurs numériques internationaux majeurs dont le seul tort était d’être étrangers. Citons également l’opiniâtreté à cadenasser le numérique dans des dispositifs fiscaux hasardeux comme la fameuse « taxe Google ». Citons toujours la taxe « robots » chère à Benoit Hamon.

Ce recours incessant à la taxe, comme solution à tous les maux, est désastreux. En ce qui concerne les robots, qui arrivent dans quantités de métiers, qui ne voit pas qu’il s’agit d’un vecteur essentiel de modernisation, dont nous ne devons pas avoir peur, et qui, à l’évidence, apportera de nouvelles richesses, et in fine plus d’emplois ? Naturellement, comme toute innovation majeure, pour être socialement acceptés, la valeur ajoutée créée, qu’elle le soit par le numérique ou par les robots doit faire l’objet d’un partage socialement équitable. Mais il conviendrait de porter sur cette nouvelle économie un regard neuf plutôt que de la contraindre à se fondre dans un cadre fiscal ancien.

Offrir un cadre législatif favorable

En second lieu, la France, et l’Europe dès lors que les mesures envisagées entrent dans le cadre de la régulation communautaire, doit s’efforcer d’offrir un cadre législatif favorable à l’économique numérique. Le propre de l’action normative est de s’adapter à une réalité économique en évolution permanente. Dans le cas du numérique, les mutations se succèdent à un rythme effréné dont il faut tenir compte. Des principes simples plutôt que des formules toutes faites sont nécessaires en la matière.

D’abord, la circulation des données doit être libre. L’on conçoit immédiatement le cortège d’objections qu’une telle position de principe suscite. Pourtant la donnée n’est rien d’autre qu’une information. Imagine t’on bloquer ou taxer la circulation de l’information. Vouloir bloquer la circulation des données démontre soit l’illettrisme numérique de nos dirigeants soit une pensée profondément liberticide. La liberté de circulation de la donnée doit être garantie au même titre que liberté de circulation de l’information.

Ensuite, la création d’un environnement interconnecté et ouvert. L’espace numérique est, par nature, ouvert, plastique, en perpétuelle mutation. C’est un lieu de rencontre et d’échange, un bouillon de culture pour les créateurs de tous horizons qui viennent proposer leurs idées et s’enrichir des idées des autres. Un tel espace doit être interconnecté et ouvert afin que tout un chacun puisse partager et aller vers les contenus en ligne qui l’intéressent. C’est la raison pour laquelle certaines idées telles que le contrôle éditorial sur les plateformes d’hébergement, qui fleurent bon le temps de l’ORTF, sont tout simplement obsolètes.

On le voit, le chantier est immense et prometteur. A l’heure où les candidats à la présidentielle font assaut de modernité, nous formons le vœu que tous et toutes comprennent que cadenasser l’économie numérique n’apporterait que des déconvenues et viendrait gâcher le formidable potentiel de la France en la matière.

Par Bruno Walther, président-fondateur de Captain Dash