Ma conférence sur le numérique

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Comme chaque année depuis 1934 environ, j’ai le plaisir d’animer une conférence sur le numérique. Cette fois je suis particulièrement content car c’est pour le compte du super projet de l’Université Populaire du Niortais, 

L’Université Populaire du Niortais présente :

“Le numérique fait-il de nous des mutants ?”

Conférence débat

Entrée gratuite ouvert à tous, participation aux frais libre.

  • Intervention de Jean-Christophe GILBERT,
  • Vice-président de l’Association des Professionnels du Numérique 
  • Vendredi 7 octobre 2016 à 20h30
  • Salle Jean Vilar à Aiffres (à côté de la Mairie)

Dans les romans de science-fiction des années 70, les héros se glissaient régulièrement dans les failles de l’espace-temps ! Aurions-nous rejoint ces voyageurs ? Solution magique ou facteur de marginalisation, la révolution numérique n’est pas reçue par tous de la même manière. Les retombées sur notre vie quotidienne, positives et négatives, enflamment les échanges intergénérationnels. Qu’on l’accepte ou pas, force est de le constater : l’espace et le temps de chacun ne se mesurent déjà plus de la même manière. Le changement est beaucoup plus profond que nous le croyons et même notre personnalité en est affectée.

Lors de cette soirée, l’intervenant s’intéressera d’abord à l’histoire de la transition numérique et à la façon dont est bouleversée notre relation au temps. Il analysera ensuite notre nouveau rapport à l’espace avant que nous partagions nos points de vue sur les implications de ces évolutions sur nos relations sociales.

Résa/infos : upniortais@gmail.com
http://upduniortais.blogspot.fr
Page Facebook

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La transformation digitale pour les nul(le)s

Encore un texte que j’aurais bien aimé écrire mais – fatalitas – je n’en ai ni le temps ni le talent. Il faut donc féliciter Grégory Pouy pour son remarquable texte posté ici-même sur son blog.

C’est décidé j’arrête !!! J’arrête de dire sur mon profil Linkedin, dans ma présentation de mes services, que j’accompagne des marques dans leur transformation « digitale ». C’est une erreur et je vais vous expliquer pourquoi.

Il existe une incompréhension profonde entre les consommateurs et les marques.
Or, la terminologie “transformation digitale” n’est pas neutre dans cette problématique et peut être dangereuse car elle entraine naturellement vers de mauvais choix stratégiques. J’ai eu l’occasion d’en parler la semaine dernière, mais en réalité, c’est beaucoup plus un nouveau paradigme societal dans lequel le digital joue un rôle qu’une transformation digitale per se.

Le terme “Digital” implique de se concentrer sur les technologies

Quand on aborde le digital, très rapidement on parle de technologies et d’innovations voire de prouesses. On fait du digital comme on fait un feu d’artifice, on cherche à faire un gros « boum » et beaucoup de lumière mais très souvent il n’en reste que de la fumée. Et on le voit partout tous les jours dans tous les secteurs. Rares sont les campagnes qui permettent d’ancrer la marque dans la tête des consommateurs aujourd’hui.

Dans leur très grande majorité, les marketers cochent des cases (réalité virtuelle, Intelligence Artificielle, mobile, produit connectés, Snapchat et hier Instagram, Twitter, Facebook…les forums) mais sans vraiment comprendre pourquoi ils le font si ce n’est pour rassurer le comité de direction, essayer de communiquer « là où se trouve la cible » ou pour gagner des prix.
Croire que le digital est une baguette magique qui va vous rendre (cocher la mauvaise réponse), cool, moderne, plus profitable…est une erreur profonde de compréhension.
Oui le digital est inévitable mais pas tant parce que les technologies doivent être adoptées que parce que le monde a changé.
Le risque évidemment c’est de faire du “digital washing”. De faire de l’innovation pour l’innovation. Sans vraiment se soucier in fine du but premier, c’est à dire de rendre service aux consommateurs dans un monde transformé.

La réalité est que la transformation technologique est un outil au service d’une transformation plus importante de la société.
Alors, chacun y va de sa petite phrase: “Snapchat c’est l’avenir de la presse”, “la réalité virtuelle c’est l’avenir du contenu”, “on va hacker le marketing”… Loic Prigent nous fait rire sur avec les perles distillées dans l’univers de la mode mais je pense qu’on pourrait rire en reprenant les phrases de certaines personnes aussi dans le marketing (je dois être moi même l’auteur de plusieurs d’entres elles)…. Les consommateurs ont changé, ils ont des usages, des attentes, une compréhension du monde et plus spécifiquement du marketing qui a changé.

Une transformation sociétale à travers l’usage du digital

[…]

Prendre le problème par la technologie est, quelque part, se tromper de combat.

Prenons en 4 qui me semblent majeures :

1.     Le rapport consommateur / marque plus équilibré
A force de 50 années de marketing dans les médias de masse, les consommateurs ont intégré les rouages du marketing, ils le comprennent beaucoup mieux et sont critiques.Le digital leur permet de modifier totalement le rapport qu’ils ont aux marques car ils peuvent chercher en ligne, comparer, trouver moins cher, discuter avec d’autres consommateurs, s’organiser, remettre en question les marques ect…
Ils sont informés en temps réel et peuvent jouer d’un contre pouvoir avec les marques qui craignent un “bad buzz”. Ils souhaitent une forme de transparence désormais et armés d’un téléphone et d’une connexion, rien ne peut les arrêter. C’est ce rapport nouveau auxquelles les marques doivent s’adapter même Google (même si la controverse est discutable).

2.     Les consommateurs plus forts ensemble
Le digital a permis aux consommateurs de trouver des solutions ensemble, il a fluidifié les rapports, les conseils…. On peut facilement trouver comment faire tout ce que l’on souhaite nous même, la tendance du DIY n’est plus à démontrer par exemple. Mais plus que cela, ce que l’on nomme l’économie collaborative (j’ai mis en lien mon slideshare sur le sujet) a permis aux consommateurs de se passer des marques. La blockchain s’inscrit d’ailleurs dans cette même logique mais en remettant en cause, cette fois çi, les institutions.

3.     Un nivellement des goûts et des avis
Thomas Friedman du New York Times le disait il y a quelques années déjà dans son livre « Le monde est plat ». Dernièrement, un billet vraiment pertinent a mis en avant de quelle manière il n’y avait plus aucune différence dans le design des intérieurs entre l’Allemagne, la Corée, les Etats Unis ou autre. En cause, Airbnb, Pinterest ou encore Instagram qui distillent des images qui sont “globales” et dictent au monde comment décorer son intérieur. Cela peut évidemment être prolongé sur les avis sur différents sujets d’autant plus avec la “filter bubble” que critiquait Eli Parizer il y a déjà quelques années et qui a trouvé résonance dans l’Edgerank de Facebook et partout où les algorithmes font leurs travail.
C’est aussi ce que soulignait cet article du Monde. (même si la controverse est discutable).

4.     Des attentes qui ont fortement évoluées.
Les Gen Z en particulier ne s’intéressent plus à la possession mais à la jouissance à un moment donné et à l’expérience qu’un produit peut leur permette d’obtenir. Une dimension définitivement servicielle que les marques doivent désormais intégrer dans leurs offres. Ils attendent également des marques plus engagées socialement, responsables et attendent une forme de transparence comme le propose des marques comme Everlane, Made, Jimmy Fairly ou encore les jeans avec DSTLD.
Ils se sentent également citoyens du monde et le digital a participé à faire disparaître ces barrières devenues plus ou moins obsolètes ce qui implique des attentes servicielles internationales. Ce qui est intéressant, c’est que cette transformation des attentes s’est largement accélérée et l’intégration des innovations technologiques par les consommateurs également.
Dès lors, c’est d’autant plus difficile pour les marques de rester dans la course. Nos métiers sont redevenus vivants et il faut mettre en place un système de mise à jour permanent pour les équipes désormais.

Un besoin de transformation certes mais…

Il ne s’agit évidemment pas de courir après la dernière étoile filante technologique mais plutôt de se mettre d’accord en interne à tous les niveaux de l’entreprise sur une vision commune de la société et de la marque et d’intégrer le digital comme on mettrait de l’huile dans un moteur pour fluidifier l’interne comme l’externe.

D’acculturer donc avant tout.
Sans briser les silos (c’est illusoire), de permettre (en réalité de contraindre) les services à travailler ensemble comme par exemple l’IT et le marketing. Et enfin d’innover en appliquant une méthode lean, c’est à dire d’essayer et d’ajuster au fur et à mesure.

Travailler autrement donc.
Ce sont les enjeux auxquels doivent faire face les entreprises et ils sont plus profonds qu’une simple mise à jour des outils utilisés. In fine, il ne s’agit pas d’intégrer le digital mais d’intégrer le consommateur digitalisé.

Bravo. Merci.
++

L’UX Design pour les nul(le)s

Dans son magnifique texte de rentrée, notre ami Pascal Demurger (DG du goupe MAIF) conclue ainsi : Il faut donc se réinventer et engager une transformation profonde de l’organisation en activant un triptyque simple qui traverse aujourd’hui toutes les strates de l’entreprise :

  • UX – Définir et mettre en oeuvre une expérience utilisateur exceptionnelle en partant systématiquement des besoins de nos utilisateurs, collaborateurs et sociétaires, le design devenant une discipline à part entière dans notre référentiel métiers
  • Data – Maintenir l’accès aux données et se mettre en capacité de les exploiter à partir d’une politique de la data qui garantisse à la fois les sources d’approvisionnement nécessaires à l’entreprise et l’utilisation éthique qu’en font nos experts et analystes
  • Culture – Engager un projet de transformation par la formation enfin pour installer au coeur de l’entreprise une nouvelle culture de l’innovation, de la collaboration, de l’agilité et de l’intraprenariat mais aussi et surtout de nouvelles compétences et savoirs.

La data et la culture, c’est assez fastoche à saisir, comme notions. En revanche, l’UX, de prime abord, c’est un peu plus coton. De prime abord seulement parce qu’au final, l’UX Design = User Experience Design = Design de l’expérience utilisateur. Plus concrètement encore, ça donne ça 

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Un gars, un vélo, le gars monte dessus. Vendu. Bon, ensuite, il faut bien savoir distinguer ce qui compose le produit et de quoi est
faite l’expérience. Si l’on prend un bol de céréales par exemple on obtient ceci

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Et ça c’est super important car si on déconne dans l’interprétation on risque plutôt d’obtenir cela

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Voilà pour aujourd’hui. J’en reparle bientôt. Biz.

PS / Je remercie l’excellent David Grand pour son superbe post (qui m’a donné envie d’écrire celui-ci un samedi matin !) #exploit

Le terrorisme pour les nuls

Un terroriste, c’est comme une mouche qui veut détruire un magasin de porcelaine. Petite, faible, la mouche est bien incapable de déplacer ne serait-ce qu’une tasse. Alors, elle trouve un éléphant, pénètre dans son oreille, et bourdonne jusqu’à ce qu’enragé, fou de peur et de colère, ce dernier saccage la boutique. C’est ainsi, par exemple, que la mouche Al-Qaeda a amené l’éléphant américain à détruire le magasin de porcelaine du Moyen-Orient.

Comme son nom l’indique, la terreur est une stratégie militaire qui vise à modifier la situation politique en répandant la peur plutôt qu’en provoquant des dommages matériels. Ceux qui l’adoptent sont presque toujours des groupes faibles, qui n’ont pas, de toute façon, la capacité d’infliger d’importants dommages matériels à leurs ennemis. Certes, n’importe quelle action militaire engendre de la peur. Mais dans la guerre conventionnelle, la peur n’est qu’un sous-produit des pertes matérielles, et elle est généralement proportionnelle à la force de frappe de l’adversaire. Dans le cas du terrorisme, la peur est au cœur de l’affaire, avec une disproportion effarante entre la force effective des terroristes et la peur qu’ils parviennent à inspirer.

Modifier une situation politique en recourant à la violence n’est pas chose aisée. Le premier jour de la bataille de la Somme, le 1er juillet 1916, l’armée britannique a déploré 19.000 morts et 40.000 blessés. À la fin de la bataille, en novembre, les deux camps réunis comptaient au total plus d’un million de victimes, dont 300.000 morts. Pourtant, ce carnage inimaginable ne changea quasiment pas l’équilibre des pouvoirs en Europe. Il fallut encore deux ans et des millions de victimes supplémentaires pour que la situation bascule.

En comparaison, le terrorisme est un petit joueur. Les attentats de Bruxelles du 22 mars 2016 ont fait trente et un morts. En 2002, en plein cœur de la campagne de terreur palestinienne contre Israël, alors que des bus et des restaurants étaient frappés tous les deux ou trois jours, le bilan annuel a été de 451 morts dans le camp israélien. La même année, 542 Israéliens ont été tués dans des accidents de voiture. Certaines attaques terroristes, comme l’attentatdu vol Pan Am 103 de 1988, qui a explosé au-dessus du village de Lockerbie, en Écosse, font parfois quelques centaines de victimes. Les 3.000 morts des attentats du 11 Septembre constituent un record à cet égard. Mais cela reste dérisoire en comparaison du prix de la guerre conventionnelle.

Faites le compte de toutes les victimes (tuées ou blessées) d’attaques terroristes en Europe depuis 1945 (qu’elles aient été perpétrées par des groupes nationalistes, religieux, de gauche ou de droite…), vous resterez toujours très en-deçà du nombre de victimes de n’importe quelle obscure bataille de l’une ou l’autre guerre mondiale, comme la 3e bataille de l’Aisne (250.000 victimes) ou la 10e bataille de l’Isonzo (225.000 victimes). Aujourd’hui, pour chaque Européen tué dans une attaque terroriste, au moins un millier de personnes meurent d’obésité ou des maladies qui lui sont associées. Pour l’Européen moyen, McDonalds est un danger bien plus sérieux que l’État islamique.

Comment alors les terroristes peuvent-ils espérer arriver à leurs fins ? À l’issue d’un acte de terrorisme, l’ennemi a toujours le même nombre de soldats, de tanks et de navires qu’avant. Ses voies de communication, routes et voies ferrées, sont largement intactes. Ses usines, ses ports et ses bases militaires sont à peine touchées. Ce qu’espèrent pourtant les terroristes, quand bien même ils n’ébranlent qu’à peine la puissance matérielle de l’ennemi, c’est que, sous le coup de la peur et de la confusion, ce dernier réagira de façon disproportionnée et fera un mauvais usage de sa force préservée.

Leur calcul est le suivant: en tournant contre eux son pouvoir massif, l’ennemi, fou de rage, déclenchera une tempête militaire et politique bien plus violente que celle qu’eux-mêmes auraient jamais pu soulever. Et au cours de ces tempêtes, ce qui n’était jamais arrivé arrive: des erreurs sont faites, des atrocités sont commises, l’opinion publique se divise, les neutres prennent position, et les équilibres politiques sont bouleversés. Les terroristes ne peuvent pas prévoir exactement ce qui sortira de leur action de déstabilisation, mais ce qui est sûr, c’est que la pêche a plus de chance d’être bonne dans ces eaux troubles que dans une mer politique calme.

Voilà pourquoi un terroriste ressemble à une mouche qui veut détruire un magasin de porcelaine. Petite, faible, la mouche est incapable de déplacer ne serait-ce qu’une simple tasse. Alors, elle trouve un éléphant, pénètre dans son oreille, et bourdonne jusqu’à ce qu’enragé, fou de peur et de colère, ce dernier saccage la boutique. C’est ce qui est arrivé au Moyen-Orient ces dix dernières années. Les fondamentalistes islamiques n’auraient jamais pu renverser eux-mêmes Saddam Hussein. Alors ils s’en sont pris aux États-Unis, et les États-Unis, furieux après les attaques du 11 Septembre, ont fait le boulot pour eux: détruire le magasin de porcelaine du Moyen-Orient. Depuis, ces décombres leur sont un terreau fertile.

Rebattre les cartes

Le terrorisme est une stratégie militaire peu séduisante, parce qu’elle laisse toutes les décisions importantes à l’ennemi. Comme les terroristes ne peuvent pas infliger de dommages matériels sérieux, toutes les options que l’ennemi avait avant une attaque terroriste sont encore à sa disposition après, et il est complètement libre de choisir entre elles. Les armées régulières cherchent normalement à éviter une telle situation à tout prix. Quand elles attaquent, leur but n’est pas d’orchestrer un spectacle terrifiant qui attise la colère de l’ennemi et l’amène à répliquer.

Au contraire, elles essaient d’infliger à leur ennemi des dommages matériels sérieux afin de réduire sa capacité à répliquer. Elles cherchent notamment à le priver de ses armes et de ses solutions tactiques les plus dangereuses. C’est, par exemple, ce qu’a fait le Japon en décembre 1941, avec l’attaque surprise qui a coulé la flotte américaine à Pearl Harbor. Ce n’était pas un acte terroriste; c’était un acte de guerre. Les Japonais ne pouvaient prévoir avec certitude quelle seraient les représailles, à part sur un point : quel que soit ce qu’ils décideraient de faire, il ne leur serait plus possible d’envoyer une flotte dans le Sud-Est asiatique en 1942.

Provoquer l’ennemi sans le priver d’aucune de ses armes ou de ses possibilités de répliquer est un acte de désespoir, un dernier recours. Quand on a la capacité d’infliger de gros dommages matériels à l’ennemi, on n’abandonne pas cette stratégie pour du simple terrorisme. Imaginez que, en décembre 1941, les Japonais aient, pour provoquer les États-Unis, torpillé un navire civil sans toucher à la flotte du Pacifique à Pearl Harbor: ç’aurait été de la folie !

Mais les terroristes n’ont pas trop le choix. Ils sont si faibles qu’ils n’ont pas les moyens de couler une flotte ou de détruire une armée. Ils ne peuvent pas mener de guerre régulière. Alors, ils choisissent de faire dans le spectaculaire pour, espèrent-ils, provoquer l’ennemi, et le faire réagir de façon disproportionnée. Un terroriste ne raisonne pas comme un général d’armée, mais comme un metteur en scène de théâtre: c’est là un constat intuitif, qu’illustre bien, par exemple, ce que la mémoire collective a conservé des attentats du 11 Septembre. Si vous demandez aux gens ce qu’il s’est passé le 11 Septembre, ils répondront probablement que les tours jumelles du World Trade Center sont tombées sous le coup d’une attaque terroriste d’Al-Qaeda. Pourtant, en plus des attentats contre les tours, il y a eu ce jour-là deux autres attaques, notamment une attaque réussie contre le Pentagone. Comment se fait-il qu’aussi peu de gens s’en souviennent?

Si l’opération du 11-Septembre avait relevé d’une campagne militaire conventionnelle, l’attaque du Pentagone aurait retenu la plus grande attention. Car elle a permis à Al-Qaeda de détruire une partie du QG ennemi, tuant et blessant au passage des dirigeants et des experts de haut rang. Comment se fait-il que la mémoire collective accorde bien plus d’importance à la destruction de deux bâtiments civils et à la disparition de courtiers, de comptables et d’employés de bureaux?

C’est que le Pentagone est un bâtiment relativement plat et arrogant, tandis que le World Trade Center était un grand totem phallique dont l’effondrement a produit un énorme effet audiovisuel. Qui a vu les images de cet effondrement ne pourra jamais les oublier. Le terrorisme, c’est du théâtre, nous le comprenons intuitivement – et c’est pourquoi nous le jugeons à l’aune de son impact émotionnel plus que matériel. Rétrospectivement, Oussama ben Laden aurait peut-être préféré trouver à l’avion qui a frappé le Pentagone une cible plus pittoresque, comme la statue de la Liberté. Il y aurait certes eu peu de morts, et aucun atout militaire de l’ennemi n’aurait été détruit, mais quel puissant geste théâtral !

À l’instar des terroristes, ceux qui les combattent devraient aussi penser en metteurs en scène plutôt qu’en généraux. Pour commencer, si l’on veut combattre le terrorisme efficacement, il faut prendre conscience que rien de ce que les terroristes font ne peut vraiment nous détruire. C’est nous seuls qui nous détruisons nous-mêmes, si nous surréagissons et donnons les mauvaises réponses à leurs provocations.

Les terroristes s’engagent dans une mission impossible, quand ils veulent changer l’équilibre des pouvoirs politiques par la violence, alors qu’ils n’ont presque aucune capacité militaire. Pour atteindre leur but, ils lancent à nos États un défi tout aussi impossible : prouver qu’ils peuvent protéger tous leurs citoyens de la violence politique, partout et à tout moment. Ce qu’ils espèrent, c’est que, en s’échinant à cette tâche impossible, ils vont rebattre les cartes politiques, et leur distribuer un as au passage.

Certes, quand l’État relève le défi, il parvient en général à écraser les terroristes. En quelques dizaines d’années, des centaines d’organisations terroristes ont été vaincues par différents États. En 2002-2004, Israël a prouvé qu’on peut venir à bout, par la force brute, des plus féroces campagnes de terreur. Les terroristes savent parfaitement bien que, dans une telle confrontation, ils ont peu de chance de l’emporter. Mais, comme ils sont très faibles et qu’ils n’ont pas d’autre solution militaire, ils n’ont rien à perdre et beaucoup à gagner. Il arrive parfois que la tempête politique déclenchée par les campagnes de contre-terrorisme joue en faveur des terroristes: c’est pour cette raison que cela vaut le coup de jouer. Un terroriste, c’est un joueur qui, ayant pioché au départ une main particulièrement mauvaise, essaye de convaincre ses rivaux de rebattre les cartes. Il n’a rien à perdre, tout à gagner.

Une petite pièce dans une jarre vide

Pourquoi l’État devrait-il accepter de rebattre les cartes ? Puisque les dommages matériels causés par le terrorisme sont négligeables, l’État pourrait théoriquement en faire peu de cas, ou bien prendre des mesures fermes mais discrètes loin des caméras et des micros. C’est d’ailleurs bien souvent ce qu’il fait. Mais d’autres fois, les États s’emportent, et réagissent bien trop vivement et trop publiquement, faisant ainsi le jeu des terroristes. Pourquoi les États sont-ils aussi sensibles aux provocations terroristes?

S’ils ont souvent du mal à supporter ces provocations, c’est parce que la légitimité de l’État moderne se fonde sur la promesse de protéger l’espace public de toute violence politique. Un régime peut survivre à de terribles catastrophes, voire s’en laver les mains, du moment que sa légitimité ne repose pas sur le fait de les éviter. Inversement, un problème mineur peut provoquer la chute d’un régime, s’il est perçu comme sapant sa légitimité. Au XIVe siècle, la peste noire a tué entre un quart et la moitié de la population européenne, mais nul roi n’a perdu son trône pour cela, nul non plus n’a fait beaucoup d’effort pour vaincre le fléau. Personne à l’époque ne considérait que contenir les épidémies faisait partie du boulot d’un roi. En revanche, les monarques qui laissaient une hérésie religieuse se diffuser sur leurs terres risquaient de perdre leur couronne, voire d’y laisser leur tête!

Aujourd’hui, un gouvernement peut tout à fait fermer les yeux sur la violence domestique ou sexuelle, même si elle atteint de hauts niveaux, parce que cela ne sape pas sa légitimité. En France, par exemple, plus de mille cas de viols sont signalés chaque année aux autorités, sans compter les milliers de cas qui ne font pas l’objet de plaintes. Les violeurs et les maris abusifs, au demeurant, ne sont pas perçus comme une menace existentielle pour l’État parce que historiquement ce dernier ne s’est pas construit sur la promesse d’éliminer la violence sexuelle. A contrario, les cas, bien plus rares, de terrorisme, sont perçus comme une menace fatale, parce que, au cours des siècles derniers, les États occidentaux modernes ont peu à peu construit leur légitimité sur la promesse explicite d’éradiquer la violence politique à l’intérieur de leurs frontières.

Au Moyen Âge, la violence politique était omniprésente dans l’espace public. La capacité à user de violence était de fait le ticket d’entrée dans le jeu politique; qui en était privé n’avait pas voix au chapitre. Non seulement de nombreuses familles nobles, mais aussi des villes, des guildes, des églises et des monastères avaient leurs propres forces armées. Quand la mort d’un abbé ouvrait une querelle de succession, il n’était pas rare que les factions rivales – moines, notables locaux, voisins inquiets – recourent aux armes pour résoudre le problème.

Le terrorisme n’avait aucune place dans un tel monde. Qui n’était pas assez fort pour causer des dommages matériels substantiels était insignifiant. Si, en 1150, quelques musulmans fanatiques avaient assassiné une poignée de civils à Jérusalem, en exigeant que les Croisés quittent la terre sainte, ils se seraient rendus ridicules plutôt que d’inspirer la terreur. Pour être pris au sérieux, il fallait commencer par s’emparer d’une ou deux places fortes. Nos ancêtres médiévaux se fichaient bien du terrorisme: ils avaient trop de problèmes bien plus importants à régler.

Au cours de l’époque moderne, les États centralisés ont peu à peu réduit le niveau de violence politique sur leur territoire, et depuis quelques dizaines d’années les pays occidentaux l’ont pratiquement abaissé à zéro. En Belgique, en France ou aux États-Unis, les citoyens peuvent se battre pour le contrôle des villes, des entreprises et autres organisations, et même du gouvernement lui-même sans recourir à la force brute. Le commandement de centaines de milliards d’euros, de centaines de milliers de soldats, de centaines de navires, d’avions et de missiles nucléaires passe ainsi d’un groupe d’hommes politiques à un autre sans que l’on ait à tirer un seul coup de feu. Les gens se sont vite habitués à cette façon de faire, qu’ils considèrent désormais comme leur droit le plus naturel. Par conséquent, des actes, même sporadiques, de violence politique, qui tuent quelques dizaines de personnes, sont vus comme une atteinte fatale à la légitimité et même à la survie de l’État. Une petite pièce, si on la lance dans une jarre vide, suffit à faire grand bruit.

C’est ce qui explique le succès des mises en scène terroristes. L’État a créé un immense espace vide de violence politique – un espace qui agit comme une caisse de résonance, amplifiant l’impact de la moindre attaque armée, si petite soit-elle. Moins il y a de violence politique dans un État, plus sa population sera choquée face à un acte terroriste. Tuer trente personnes en Belgique attire bien plus d’attention que tuer des centaines de personnes au Nigeria ou en Iraq. Paradoxalement, donc, c’est parce qu’ils ont réussi à contenir la violence politique que les États modernes sont particulièrement vulnérables face au terrorisme. Un acte de terreur qui serait passé inaperçu dans un royaume médiéval affectera bien davantage les États modernes, touchés au cœur.

L’État a tant martelé qu’il ne tolérerait pas de violence politique à l’intérieur de ses frontières qu’il est maintenant contraint de considérer tout acte de terrorisme comme intolérable. Les citoyens, pour leur part, se sont habitués à une absence totale de violence politique, de sorte que le théâtre de la terreur fait naître en eux une peur viscérale de l’anarchie, comme si l’ordre social était sur le point de s’effondrer. Après des siècles de batailles sanglantes, nous nous sommes extraits du trou noir de la violence, mais ce trou noir, nous le sentons, est toujours là, attendant patiemment le moment de nous avaler à nouveau. Quelques atrocités, quelques horreurs – et nous voilà, en imagination, en train de retomber dedans.

Désormais, nous serons gouvernés par la peur et les bons sentiments

Afin de soulager ces peurs, l’État est amené à répondre au théâtre de la terreur par un théâtre de la sécurité. La réponse la plus efficace au terrorisme repose sans doute sur de bons services secrets et sur une action discrète contre les réseaux financiers qui alimentent le terrorisme. Mais ça, les gens ne peuvent pas le voir à la télévision. Or ils ont vu le drame terroriste de l’effondrement des tours du World Trade Center. L’État se sent donc obligé de mettre en scène un contre-drame aussi spectaculaire, avec plus de feu et de fumée encore. Alors au lieu d’agir calmement et efficacement, il déclenche une énorme tempête qui, bien souvent, comble les rêves les plus chers des terroristes.

Comment l’État devrait-il faire face au terrorisme ? Pour réussir, la lutte devrait être menée sur trois fronts. Les gouvernements, d’abord, devraient se concentrer sur une action discrète contre les réseaux terroristes. Les médias, ensuite, devraient relativiser les événements et éviter de basculer dans l’hystérie. Le théâtre de la terreur ne peut fonctionner sans publicité. Or malheureusement, les médias ne font souvent que fournir cette publicité gratuitement: ils ne parlent que des attaques terroristes, de façon obsessionnelle, et exagèrent largement le danger, parce que de tels articles sensationnels font vendre les journaux, bien mieux que les papiers sur le réchauffement climatique.

Le troisième front, enfin, est celui de notre imagination à tous. Les terroristes tiennent notre imagination captive, et l’utilisent contre nous. Sans cesse, nous rejouons les attaques terroristes dans notre petit théâtre mental, nous repassant en boucle les attaques du 11 Septembre ou les attentats de Bruxelles. Pour cent personnes tuées, cent millions s’imaginent désormais qu’il y a un terroriste tapi derrière chaque arbre. Il en va de la responsabilité de chaque citoyen et de chaque citoyenne de libérer son imagination, et de se rappeler quelles sont les vraies dimensions de la menace. C’est notre propre terreur intérieure qui incite les médias à traiter obsessionnellement du terrorisme et le gouvernement à réagir de façon démesurée.

Que dire encore du terrorisme nucléaire ou bio-terrorisme? Que se passerait-il si ceux qui prédisent l’Apocalypse avaient raison? si les organisations terroristes venaient à acquérir des armes de destruction massive, susceptibles, comme dans la guerre conventionnelle, de causer d’immenses dommages matériels? Quand cela arrivera (si cela arrive), l’État tel que nous le connaissons sera dépassé. Et du même coup, le terrorisme tel que nous le connaissons cessera également d’exister, comme un parasite meurt avec son hôte.

Si de minuscules organisations représentant une poignée de fanatiques peuvent détruire des villes entières et tuer des millions de personnes, l’espace public ne sera plus vierge de violence politique. La vie politique et la société connaîtront des transformations radicales. Il est difficile de savoir quelle forme prendront les batailles politiques, mais elles seront certainement très différentes des campagnes de terreur et de contre-terreur du début du XXIe siècle. Si en 2050 le monde est plein de terroristes nucléaires et de bio-terroristes, leurs victimes songeront au monde occidental d’aujourd’hui avec une nostalgie teintée d’incrédulité: comment des gens qui jouissaient d’une telle sécurité ont-ils pu se sentir aussi menacés ?

© Yuval Harari 2016
© Albin Michel pour la traduction française 2016, par Clotilde Meyer