Selon les estimations, l’IA devrait faire disparaître de 10 à 50 % des boulots actuels dans le siècle à venir :(

Le docteur Laurent Alexandre, fondateur de Doctissimo, a alerté le Sénat sur la révolution de l’intelligence artificielle en France dans le siècle à venir.

Pour une fois, on aura entendu une réflexion sur l’intelligence artificielle (IA) dénuée des fantasmes habituels d’extinction de l’espèce façon Terminator ou, autre classique, du fantasme de la singularité, ce moment où l’IA accéderait à la conscience de soi. Lors de l’audition publique organisée par le Sénat jeudi 19 janvier en compagnie de politiques et de penseurs de l’intelligence artificielle, l’exposé du docteur Laurent Alexandre a ramené l’IA sur Terre, dans la réalité économique et sociale des décennies à venir. Car plutôt que de nous parler immortalité ou hybridation biomécanique, le fondateur de Doctissimo, transhumaniste convaincu et désormais à la tête d’une entreprise de séquençage d’ADN, a dressé un constat très simple : l’IA s’apprête à défigurer le monde professionnel, et ni la France ni l’Europe ne semblent avoir prévu quoi que ce soit pour s’adapter aux nouvelles logiques de production qui définiront les décennies à venir.

En IA, nous sommes un pays du tiers-monde”, constate-t-il : nous exportons des cerveaux, notamment vers les géants américains Google, Amazon, Facebook et Apple (GAFA) ou, désormais, le bloc chinois (Baidu, Alibaba, Xiaomi), sans réfléchir à une stratégie d’avenir pour anticiper la révolution qui s’annonce. Économiquement, selon Laurent Alexandre, la situation est pourtant limpide. Dans un premier temps (maintenant, ou presque), l’IA sera “faible”, puis deviendra “semi-forte” dans quelques décennies. Mais comparée à l’intelligence biologique, elle sera toujours gratuite.

Et “lorsque quelque chose est gratuit, les substituts crèvent et les complémentaires augmentent”, explique l’intervenant. Là, Laurent Alexandre se fait prophétique et décrit une société française attentiste dans laquelle “tous ceux qui ne seront pas complémentaires de l’IA seront soit au chômage soit avec un emploi aidé”, tout en évoquant son scepticisme face au scénario, avancé entre autres par la secrétaire d’État Axelle Lemaire, selon lequel l’IA va au contraire créer de nouveaux métiers. Pour Laurent Alexandre, “la paupérisation relative de nos populations est une certitude”. Selon les estimations, l’IA devrait faire disparaître de 10 à 50 % des boulots actuels dans le siècle à venir.

Réforme urgente de la formation professionnelle

Très bien et merci pour la dépression à venir, mais concrètement, que fait-on pour remédier à cela ? Pour Laurent Alexandre, la priorité est de réorganiser à la fois l’école et la formation professionnelle, qui ne seront plus adaptées à un monde dominé par une IA, même “faible”. Le but : construire un système qui rende l’humain “complémentaire” de l’IA, alors que celle-ci – moins chère que les robots – devrait pouvoir occuper des professions hautement qualifiées comme la médecine ou la radiologie.

Selon l’entrepreneur, il s’agit là d’un chantier primordial, à étaler sur plusieurs décennies, qui permettra de réorienter les métiers hautement qualifiés vers plus de complémentarité, afin d’éviter une mise en concurrence de l’humain et de la machine. Pour Laurent Alexandre, si la classe politique ne prend pas immédiatement conscience de sa responsabilité, “dans cinquante ans on a Technopolis (sic) et dans un siècle on a Matrix”. Quant à la proposition du revenu universel de base, revenu sur le devant de la scène (et dans les programmes politiques) à l’aune du progrès technologique, le chercheur le balaie du revers de la main, arguant qu’il serait “suicidaire” de le mettre en place. Si les positions, parfois tranchées, de Laurent Alexandre au sujet de l’IA n’ont pas été partagées par tout le monde lors de ces auditions publiques, elles auront au moins eu le mérite d’interpeller nos parlementaires sur la nécessité de considérer l’IA pour ce qu’elle est vraiment – non pas une menace pour l’espèce mais un vecteur de transformation sociétale radical – et d’inventer des manières de résoudre les problèmes concrets qu’elle va bientôt poser.

Source : kombini.com

Les données personnelles, nouveaux « communs » pour ressourcer le mutualisme

Publié le 4 mars 2017 par Jean Louis Davet : Directeur général du groupe MGEN et du groupe ISTYA

En ce début de 21e siècle, nous assistons à un formidable renouveau des biens communs ou “communs”, porté par la révolution numérique en cours.

Historiquement, l’idée de “communs” remonte à une période où l’État moderne n’existait pas encore, dans un contexte essentiellement agraire. Deux types d’espaces coexistaient alors en fonction des droits coutumiers locaux : les terres relevant de la propriété privée, labourées, ensemencées, moissonnées, et les “communs” utilisables par tous pour trouver du bois, éventuellement chasser ou faire brouter les animaux. Le régime des “enclosures” à la fin du Moyen Âge, puis l’essor de la propriété privée au 17e/18e siècle, finit par faire disparaître une grande partie de ces biens communs.

Ces modes de fonctionnement et de régulation collective semblent aujourd’hui porteurs d’innovation à l’heure où des communautés créent des “communs” digitaux. Du développement des logiciels libres à la création de l’encyclopédie en ligne Wikipédia, les communs sont remis au goût du jour.

Car une nouvelle génération d’acteurs, portée par la culture issue d’internet, se réapproprie les valeurs portées par les “communs”. Décentralisation, horizontalité des relations, partage, accès aux savoirs et à la connaissance, culture de la contribution active font en effet partie du panthéon de valeurs des fondateurs du web. Ils ont inspiré notamment le mouvement du logiciel libre. Le mouvement fait tache d’huile en s’étendant à d’autres secteurs, comme la culture, voire demain les biens matériels par la révolution des imprimantes 3D.

À l’opposé d’une vision purement individualiste de la société, les communs fournissent une alternative à la marchandisation exclusive de la société. Ils permettent à des communautés locales ou virtuelles de se regrouper pour créer, préserver, maintenir ou développer une ressource collective. Car si la ressource elle-même est importante, la création de lien social se révèle décisive dans nombre d’approches. Contrairement au court-termisme ambiant, elles permettent aussi de penser le long terme ainsi que la transmission d’une ressource et d’un projet entre générations.

Nous assistons depuis à un foisonnement d’initiatives. Partout en Europe, des initiatives citoyennes et communautaires sont actuellement en cours afin de donner vie à des communs urbains, ruraux, scientifiques ou numériques. Des rapprochements et des convergences sont en cours. Une première Assemblée européenne des communs s’est d’ailleurs tenue en novembre dernier au Parlement européen, fédérant des acteurs venus de toute l’Europe.

Même si beaucoup reste à construire, l’idée de “communs” ou de “mise en commun” fait totalement sens dans l’univers des valeurs du mutualisme et doit interpeller tout groupe mutualiste en phase avec son temps. Tout comme la révolution numérique en général, ce mouvement nous invite à reconsidérer les voies et moyens de nos ambitions collectives tout en revisitant nos modèles entrepreneuriaux. C’est tout particulièrement vrai de nos mutuelles. Il nous faut renouer avec notre vocation originelle d’innovation sociale librement et collectivement décidée par nos membres. Communs et mutualité : utopie ou vision ?

Les mutuelles ont, elles aussi, vu le jour à partir de la mise en commun par un groupe d’individus, de certains aléas ou types de “risques” (santé, accidents, dommages matériels, etc.) à assurer et gérer collectivement.

Pour autant, au-delà de cet idéal collectif non marchand partagé avec les militants des communs, quelle ressource concrète une mutuelle serait-elle en mesure de développer pour que l’on puisse envisager de l’associer au mouvement des communs ?

Prétendre par exemple que le “commun” ainsi préservé et développé par une mutuelle santé est “la santé de ses adhérents” est certes séduisant, mais ne résiste pas à l’analyse. Les services et remboursements de soins opérés par la mutuelle contribuent certes à un meilleur état de santé des adhérents, mais la prétendue “ressource santé” reste très hypothétique dans la mesure où aucun adhérent ne confie réellement (en tout cas pas encore) sa santé à sa mutuelle, et l’implication de l’adhérent dans l’enrichissement de cette ressource au profit de la communauté des autres adhérents reste extrêmement limitée.

Il serait au contraire plus constructif d’identifier au sein de la révolution numérique et de la nouvelle vague de communs digitaux ce qui pourrait contribuer à l’émergence de nouveaux modèles d’inspiration mutualiste à même de répondre aux enjeux sociétaux façonnant notre avenir.

Pour une mutuelle, c’est le risque financier occasionné par la réparation des sinistres qui est dans les faits assuré. Ainsi, le type de risque sous-jacent (santé, etc.) et le périmètre des individus concernés (souvent par corporation ou territoire géographique) sont les deux facteurs qui ont circonscrit dès l’origine les périmètres “affinitaires” entre adhérents d’une mutuelle.

Dans ce cadre, les données personnelles des adhérents, souvent limitées à des caractéristiques socio-économiques enrichies de données actuarielles sur les sinistres, sont mutualisées afin de définir et calibrer les garanties assurantielles correspondant au risque couvert, et de déterminer leur tarif.

Les données personnelles, un nouveau commun

Mais cette logique est aujourd’hui en cours d’inversion : les données ne sont plus seulement l’un des outils permettant de mesurer et tarifer le risque que les adhérents cherchent à mutualiser.

Nos données personnelles, numériques ou numérisables, deviennent une ressource clé, d’une variété et d’une richesse potentielle inouïes.

Ne serait-ce pas là le véritable “commun” qu’un collectif pourrait souhaiter à la fois protéger, développer, réguler ? Il confierait cette ressource essentielle à une “organisation” qui en émanerait, charge à cette dernière de créer et proposer tous types de services désormais rendus possibles par le traitement approprié de ces données (comme les services de dépistage et de prévention, l’accession à une médecine personnalisée, des recherches médico-économiques ou sanitaires…).

Bien évidemment, cette utopie se heurte aujourd’hui à la réalité des cadres réglementaires français et européens sur les données personnelles et les données de santé, aux légitimes questions d’anonymisation et de sécurité, ainsi qu’au manque de maturité de la population sur ces sujets complexes et encore fort peu débattus publiquement. Pour autant, les réglementations évolueront, et gageons que nous saurons un jour trouver le bon équilibre entre la protection des individus et la liberté d’innovation indispensable au développement économique des nations.

Le changement de paradigme serait alors radical.

Les membres adhérents de cette organisation s’associeraient non plus pour couvrir prioritairement un risque donné, comme c’était le cas de nos mutuelles, mais pour bénéficier de tous les services imaginables à partir d’un large spectre de données qu’ils auraient collectivement et consciemment décidé de partager ensemble. 

La mutualisation porterait moins sur les risques sous-jacents à couvrir sur un mode assurantiel que sur le périmètre de données recueillant le consentement de tous les membres. Se formerait ainsi une communauté dont le trait d’union serait précisément l’acceptation éclairée du partage de ce périmètre entre membres.

De son côté, l’organisme collectif gouvernant, préservant et exploitant la richesse confiée, s’engagerait à expliquer intégralement tout l’usage qu’il fait de ces données et le détail des algorithmes qu’il utilise. Il n’aurait pas pour objectif de centraliser toutes ces données dans une même base, mais avant tout de faciliter la circulation des flux d’informations pour créer de la valeur pour l’individu et veiller à ce qu’il reste maître de ses informations.

Ses conditions générales d’utilisation (CGU) seraient enfin transparentes, aisément compréhensibles par tous les adhérents, et rompraient définitivement avec ce que l’on pourrait plutôt qualifier aujourd’hui de Capharnaüm Grugeant les Utilisateurs. La gouvernance des données pourrait même être conçue comme pleinement collaborative, basée sur des outils proposés par les CivicTech, garantissant ainsi tout à la fois transparence et fidélité aux choix des individus.

Considérer les données personnelles, ou plus vraisemblablement leur agrégation, comme un commun rendrait chaque membre de cette communauté légitime pour revendiquer le bénéfice de la richesse informationnelle ainsi créée.

Les informations rendues “signifiantes” devraient servir à leurs “propriétaires” pour qu’ils en tirent tout l’usage qui a du sens pour eux. Les individus pourraient ensuite exploiter et contrôler leurs données à leurs propres fins. Cette maîtrise par les individus de leurs données personnelles et de leur exploitation constitue l’ambition même du Self Data, dont différents modèles économiques font aujourd’hui l’objet de recherches et d’expérimentations.

De la mise en commun pleinement consentie à la réappropriation individuelle des données personnelles, la boucle serait bouclée au bénéfice de la collectivité et de l’individu.

Expérimentons de nouveaux “communs” !

Nos mutuelles peuvent renouer avec leur vocation originelle d’innovation sociale librement et collectivement décidée par leurs membres.

Par exemple, plus que tout autre type d’assureur, une mutuelle, dont les principes de gouvernance visent à circonscrire les divergences d’intérêt qui peuvent opposer actionnaires et clients, assureur et assurés, devrait théoriquement être en mesure de décider la restitution à chaque membre des données qui le concernent et de l’ensemble des enseignements tirés (modulo toutes les précautions d’usage en matière de responsabilité et de sécurité).

Le Self Data apparaîtrait ainsi comme une extension naturelle de la transparence qui doit être de mise entre la structure “mutuelle” et les individus qui y adhérent dans un objectif d’amélioration de leurs conditions de vie tant par des services que par des prestations d’assurance.

Mais les idées innovantes, les acquisitions de technologie, les réponses aux besoins exprimés ou pas encore exprimés, la conviction d’œuvrer pour le progrès social ne seront pas suffisantes.

Les modèles économiques restent à inventer dans un contexte concurrentiel tendu où les utilisateurs sont profondément atteints par le syndrome de la gratuité apparente.

Les modalités de gouvernance restent également à revisiter pour répondre à de nouvelles aspirations et à une complexité croissante de l’environnement.

La tâche est immense, les enjeux fondamentaux. C’est maintenant qu’il faut s’y atteler, notamment en expérimentant de nouveaux communs… et pourquoi pas en donnant de nouvelles formes et de nouveaux objets au mutualisme ?

Article publié sur le Cercle des Echos le 2 mars 2017

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