Les pionniers sont américains, mais le mouvement gagne toute la planète.
Ce domaine, grandiose, ne se niche pas dans les méandres d’un esprit fumeux, pas plus qu’il ne peuple le petit monde sympathique des utopies. L’économie de la connaissance est déjà là, vivante, palpable, tangible, et si nous ne la distinguons pas, c’est que nous ne chaussons pas les bonnes lunettes. Un esprit aussi brillant qu’original a rédigé à l’intention des citoyens comme des responsables politiques une note lumineuse, une sorte de « traité pratique » de l’économie de la connaissance. Son auteur, Idriss J. Aberkane, un scientifique à peine trentenaire, spécialiste des neurosciences, accumule les références prestigieuses : chercheur à Stanford, ingénieur d’étude en biomimétique à l’École polytechnique, ancien interne du département de psychologie expérimentale de l’université de Cambridge (Royaume-Uni), pour faire court.
Même si les prémices de l’économie de la connaissance sont plus anciennes, Aberkane date le moment-clé d’une prise de conscience en 1977. Dans un fascinant discours prononcé peu de temps après son installation à la Maison Blanche, le président Jimmy Carter évoque la crise énergétique qui frappe alors de plein fouet les économies occidentales et il y glisse cette réflexion sibylline : si nous indexons le dollar sur les matières premières, son potentiel est grand, mais limité ; si nous indexons le dollar sur la connaissance, alors son potentiel est infini. Visionnaire, Jimmy Carter pressent les dangers et les limites d’une économie droguée aux matières fossiles et ouvre, l’air de rien, un nouveau paradigme. Le président prêche moins dans le désert qu’il n’y paraît. Dans la Silicon Valley, une poignée d’entrepreneurs partagent le même rêve. De Steve Jobs (Apple) à Sergueï Brin (Google), de Mark Zukerberg (Facebook) à Elon Musk (Tesla), ces « héros de la Valley » vont faire la démonstration que « la connaissance est de loin la ressource économique la plus essentielle à un pays ». Cette économie a bien d’autres lois, d’autres singularités.
D’abord, elle s’apprend en groupe.
Jetant une jolie pierre dans le jardin de nos débats français du moment, Aberkane affirme que « la connaissance étant collégiale, il y a lieu de la partager en groupe, c’est-à-dire de construire l’éducation autour du groupe plutôt qu’autour de l’individu ». C’est tout un système et une pédagogie, hérités de la révolution industrielle et fondés sur l’évaluation individuelle que le chercheur appelle à transformer radicalement.
Enfin, ces collectifs, ces groupes doivent aussi pour réussir « partager une passion brûlante ». Pour sa démonstration, Aberkane a conçu une matrice qui combine les deux composantes entrepreneuriales : l’amour du métier (le « love »), et l’expertise du métier (le « can do »). Les entreprises les plus compétitives dans leur secteur font ce qu’elles aiment faire et ce qu’elles savent faire. Cette matrice définit ainsi quatre archétypes d’entreprises : le joueur « au-dessus de la mêlée » (love fort, can do fort), le « suiveur » (love faible, can do fort), le « Silican Garage » (love fort, can do faible) et « l’entrant forcé » (love faible, can do faible). Une conclusion enthousiasmante qui montre la suprématie de la compétence quand elle se conjugue avec le désir.
—
Source + intégrale : http://idrissaberkane.org/index.php/2015/11/18/leconomie-de-la-connaissance-une-histoire-damour-et-de-savoirs/ – Article paru dans Le Monde le 28 mai 2015