Dans le secteur culturel, la migration numérique est en marche mais laisse un goût d’inachevé ; ce sont des industries entières qui doivent se repenser et revenir sur leurs acquis.
Le consommateur est confronté à un foisonnement d’innovations qui vont de plus en plus vite et de plus en plus loin.
De la profusion de contenus et de vecteurs en apparence désordonnée émergent cinq grandes tendances :
- abondance,
- personnalisation,
- agrégation,
- communauté
- engagement.
L’accès illimité à une infinie diversité de contenus est désormais tenu pour acquis.
Fidèles à l’esprit de la société au sein de laquelle les consommateurs évoluent, ils souhaitent légitimement avoir la possibilité d’accéder à un univers de contenu adapté à leurs goûts, reflétant leurs envies, anticipant même leurs désirs. De la fragmentation des audiences ont émergé de puissants “carrefours d’usage” comme Google ou Facebook qui, par l’agrégation de divers contenus disponibles, en facilitent l’accès et l’appropriation. La transition numérique marque également le passage de la culture individuelle à la culture communautaire ; dans l’esprit des gens, aucun algorithme, si performant soit-il, ne remplacera jamais le conseil d’un ami. Les réseaux sociaux prennent par conséquent de plus en plus d’importance, non seulement en tant que tels, mais également lorsqu’il s’agit de choisir un contenu. Enfin, le grand public, s’il n’est pas forcément créateur, fait preuve d’une volonté prononcée de s’impliquer davantage dans le processus de découverte et de dissémination des œuvres.
L’impact de ces cinq tendances sur des secteurs culturels aussi différents que la musique, la télévision, les jeux vidéo et les livres suggère des stades de maturité numérique et des perspectives d’avenir contrastées.
Depuis sept ans, l’industrie musicale est passée par presque toutes les phases de décroissance, restructuration et diversification. Aujourd’hui, les nouvelles sources d’écoute et de partage, comme le téléchargement ou le streaming, représentent plus du tiers de la consommation de musique en termes de temps passé. Marquée par sept années d’innovations numériques, l’industrie musicale pourrait donc être en passe de renouer avec la croissance et la création de valeur.
Sept ans après la naissance de YouTube, la multiplication des tablettes comme l’iPad annoncent l’ère de la vidéo applicative et communautaire : la moitié des possesseurs de tablettes ne se servent plus de leur téléviseur pour visualiser certains contenus, notamment les actualités. S’il est vrai que certaines évolutions technologiques comme la 3D n’ont pas rencontré le succès escompté, force est de constater que les usages audiovisuels des consommateurs ont été profondément modifiés par le numérique. Ils sont néanmoins peu enclins à payer pour profiter de ces nouvelles expériences ; le marché publicitaire devra donc évoluer pour s’adapter à ces nouveaux formats et les absorber.
L’industrie du jeu vidéo, pourtant “nativement numérique”, est également bousculée par les modèles freemium disponibles sur internet. L’émergence des téléphones mobiles, des tablettes et des réseaux sociaux comme plateformes de jeux a grandement contribué à l’élargissement de la base de joueurs. Ces nouvelles plateformes ont toutefois généralisé les modèles freemium et à bas prix ; les joueurs étant peu enclins à payer, l’industrie doit se repenser, se réinventer, pour atteindre un modèle économique stable et viable.
Sept ans après l’apparition des premières liseuses digitales, la migration numérique du monde du livre n’a vraiment débuté qu’aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Toutefois, la forte baisse des prix des liseuses et tablettes devrait permettre l’accélération du développement du livre numérique. Les lecteurs numériques étant pleinement disposés à payer pour leurs e-books, les perspectives de création de valeur sont bonnes, d’autant que de nombreux modèles voient le jour à la faveur de la dématérialisation du livre. Le déploiement du livre numérique risque cependant d’être entravé par les incertitudes réglementaires qui pèsent sur l’industrie.
Le rapport au numérique est ainsi très contrasté, mais les raisons d’espérer sont bien réelles.
Tout d’abord, si l’évolution de l’économie numérique semble parfois chaotique, le comportement des consommateurs révèle une demande et des attentes grandissantes en matière de culture, ainsi qu’un goût prononcé pour les nouvelles expériences digitales.
De plus, le numérique fait tomber les barrières traditionnelles à la création et à la distribution et ouvre ainsi la voie à des expériences nouvelles, en permettant un accès plus simple à des contenus plus divers. On assiste ainsi à l’émergence d’un espace intermédiaire confidentiel entre blockbusters et la longue traine du user generated content, à valeur économique limitée.
Cette “terre du milieu” devrait s’ouvrir encore plus sous le poids accru des nouveaux prescripteurs, les communautés sociales en ligne.
Enfin, l’amélioration des infrastructures et l’essor des réseaux sociaux font des pays émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine notamment) une force majeure dans la croissance des industries culturelles et de la révolution numérique en devenir.
Il semble tout de même qu’au terme de sept années numériques, l’âge de raison des industries culturelles ne soit pas pour demain. Les modèles doivent être réinventés suite aux chocs exogènes subis par les différents secteurs ; cette réinvention est un processus douloureux mais fécond, qui ouvre de nouveaux horizons de croissance pour l’économie de la création en plaçant la diversité au centre de la création de valeur pour les sept prochaines années.
Source : Huffington Post